Titelbild zum Artikel Insuffisances et impératifs de la capacité de défense de l’Armée suisse

Comme tous les pays, la Suisse doit systématiquement questionner son positionnement dans un monde de plus en plus instable. (Photo : VBS/DDPS; André Scheidegger)

18.05.2025

Insuffisances et impératifs de la capacité de défense de l’Armée suisse

Ces dernières années, la situation en matière de sécurité internationale s’est successivement dégradée. Les défis rappellent la période d’avant 1989/91 quand le monde était divisé – en simplifiant – en deux camps, l’un défendant les libertés, la démocratie et l’état de droit, l’autre se basant sur l’autoritarisme, la violence étatique contre ses propres citoyens et le non-respect de règles communes. Les trois décennies écoulées depuis la fin de la Guerre froide apparaissent moins comme une nouvelle ère, mais davantage comme un hiatus dans une époque de confrontations continues entre grandes puissances mondiales et régionales.

Text: Bernhard Altermatt v/o Nemesis

 

Si l’on transfère les intentions et les positions annoncées explicitement par les uns et les autres sur une mappemonde (en bleu et en rouge, comme au temps de la Guerre froide), on constate une nouvelle opposition Est-Ouest. La Chine, la Russie, l’Iran et la Corée du Nord forment un multi-cluster autoritaire menaçant et déstabilisant les pays dans leur environnement. D’autres puissances régionales n’affichent pas toujours clairement comment elles se positionnent et vers où elles tendent. À partir de la perspective européenne, il faut y inclure notamment la Turquie et l’Inde, mais la liste contient des pays partout dans le monde, comme le Brésil, l’Indonésie ou l’Afrique du Sud.

L’Europe forme, à l’Ouest de l’Eurasie, une tête de pont rayonnant dans son voisinage, souvent perçue comme phare de la démocratie et des libertés, de la prospérité et de la sécurité. Indépendamment des défis à l’intérieur et des critiques venant de l’extérieur, des centaines de milliers de personnes y cherchent refuge chaque année. Le continent est un des plus grands pôles d’attraction pour les populations réfugiées, expulsées, déplacées et défavorisées, un havre de stabilité dans un monde marqué par les guerres, les conflits et les crises.

Jusqu’il y a peu, les Etats-Unis d’Amérique (ensemble avec le Canada ainsi que l’Amérique latine à quelques exceptions) étaient considérés comme faisaient partie du camp « occidental ». Il y a bien des chances que l’Amérique du Nord continuera à être intégrée au camp des défenseurs de la liberté et de la démocratie. Mais la fidélité inconditionnelle des Etats-Unis à l’Europe, basée sur des valeurs partagées et des intérêts communs, se réduit continuellement. Ceci oblige les états européens de prendre leurs responsabilités pour assurer leur sécurité et contribuer à celle des régions voisines.

L’Afrique se trouve dans une position pareillement inconfortable. Située entre les grands blocs, elle est la cible d’opérations et d’influences néocoloniales. Dans la nouvelle « course à l’Afrique », la Chine joue un rôle particulièrement combattif, mais la Russie et d’autres puissances régionales ne sont pas en reste. En parallèle à cette évolution, les anciennes puissances coloniales européennes sont écartées et se retirent du continent, tout comme les Etats-Unis d’Amérique.

La Suisse ne dispose pas des infrastructures pour que l’Armée puisse correctement exercer le combat en milieu urbain. (Photo : VBS/DDPS; Alex Kühni)

La Suisse face aux crises géopolitiques

Comme tout pays, la Suisse doit sans cesse ajuster son positionnement dans un monde marqué par une insécurité et une instabilité croissantes. Elle peut décider de se tenir à l’écart des guerres et conflits, restant neutre en apparence mais admettant ou sanctionnant de fait les abus de pouvoir et la violence ; ou elle peut défendre ses intérêts matériels et idéels d’entente avec des partenaires qui partagent ses valeurs – sans parler des nuances qui existent entre ces deux postures.

Pour orienter la réflexion, il est utile de considérer dans un premier temps les tâches régaliennes de l’Etat qui ne peuvent être déléguées ou transférées à des privés. Il s’agit de la garantie de la sécurité extérieure et intérieure, de la justice, de la diplomatie ou de la politique monétaire. Dans un second ordre, cela concerne les autres intérêts du pays, matériels et immatériels, comme les affaires économiques, scientifiques, sociales ou culturelles.

La présente contribution se focalise sur la sécurité extérieure comme première et plus importante tâche de l’Etat. Elle fait écho à une conférence du brigadier Serge Pignat, commandant de la Brigade mécanisée 1, lors de la 3e Kneipe de l’Armée de la SES le 20 mars dernier à Fribourg. Proposant un tour d’horizon circonstancié sur la situation géopolitique, et avant de pivoter sur une présentation de l’état et de l’avenir de l’Armée suisse en général et des Forces terrestres en particulier, le brigadier Pignat inscrivait ses propos dans une analyse globale des défis auxquels le pays est confronté.

Comment la Suisse peut-elle garantir la sécurité de ses frontières, de son territoire, de ses infrastructures et de sa population ? Est-elle capable de se défendre contre des menaces conventionnelles et hybrides, dont les cyberattaques, le sabotage et l’espionnage ? Quelle est son attitude face au désengagement américain de la sécurité internationale et face à la volonté de l’Europe de renforcer sa défense militaire ? Comment la Suisse peut-elle assurer sa défense de manière autonome et en coopérant avec des partenaires ? Quelles sont les priorités à fixer et les investissements à effectuer ?

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Exkurs (article en allemand)
Zum Handlungsspielraum der Schweiz in den internationalen Beziehungen
In: stratos, Militärwissenschaftliche Zeitschrift der Schweizer Armee, Nr. 2/2024, S. 57–66.
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La politique étrangère comme enjeu interne

Les réponses à ces questions dépendent de la formation de l’opinion à l’intérieur de la Suisse, mais aussi de facteurs externes. D’une part, elles sont la fonction de ce que la Suisse et les Suisses veulent. De l’autre, elles découlent de demandes formulées à l’encontre de la Suisse depuis l’extérieur : qu’attendent l’Europe et le monde ? Une analyse réaliste de nos relations internationales et de notre politique étrangère mène à la conclusion qu’à l’avenir, on demandera bien davantage à la Suisse qu’un « milliard de cohésion », pour citer l’exemple le plus connu de la politique européenne.

Le retrait progressif des Etats-Unis d’Amérique et l’urgence pour l’Europe de prendre ses responsabilités en matière de défense auront comme conséquence que la Suisse devra faire preuve d’une toute nouvelle dimension de solidarité. Dans un futur plus ou moins proche, les Européens réclameront vraisemblablement aux Suisses des « milliards pour la sécurité » en contrepartie à l’accès au marché commun, la coopération et l’intégration, la participation et l’appartenance à l’espace de liberté européen.

Pour répondre aux défis en matière de politique étrangère et de sécurité, il existe un besoin pressant de leadership et d’une vision stratégique forte. La Suisse et ses gouvernants doivent procéder à une pesée des intérêts conséquente, établir des lignes directrices claires et communiquer sans équivoque quels sont les intérêts matériels et les valeurs idéelles à défendre. Cela nécessite un débat intensif – y compris et en particulier sur la mise en œuvre de la traditionnelle neutralité suisse dans un contexte international évoluant. La SES contribue à faire avancer ces discussions importantes par le biais de ses forums de débats et de réflexion.

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Exkurs (article en allemand)
Die wachsenden Mühen der Schweiz mit der Neutralitätspolitik
In: stratos, Militärwissenschaftliche Zeitschrift der Schweizer Armee, stratos digital #44, März 2023, 5 S.
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Trois niveaux de menaces stratégiques

La 3e Kneipe de l’Armée à Fribourg fut l’occasion pour les membres et invités de prendre connaissance de l’ampleur des défis posés par la nouvelle donne géopolitique, d’entendre un haut gradé de l’armée disserter sur les conditions préalables et les besoins en matière de défense nationale, de poser des questions brûlantes et d’obtenir des ébauches de réponses. En amont, le commandant de la Br méc 1, rappelait aux quelque 60 officiers et militaires présents les trois niveaux de menaces réelles auxquelles le pays fait face.

La première menace sont les attaques hybrides : la cyberguerre et la cybercriminalité internationale, la guerre d’information et les opérations d’influence, l’espionnage et le sabotage. En tant que pays riche et hautement interconnecté, la Suisse se trouve depuis longtemps dans le viseur de puissances et d’acteurs malveillants. Les attaques ont souvent une origine géographique localisable, mais se situent en-dessous du seuil de la guerre à proprement parler. Au-delà du constat que le cadre légal international ne suffit manifestement plus pour dissuader et contrer ces attaques, la Suisse est en train de renforcer continuellement ses capacités de défense dans ce domaine. 

La deuxième plus grande menace – moins probable, mais néanmoins possible – sont des attaques avec des missiles balistiques, conventionnels ou pas, avec des drones et autres moyens de la guerre à distance. La défense de la Suisse contre ces menaces n’est actuellement pas assurée. Bien que la nécessité d’agir est identifiée et des efforts pour y remédier sont en cours, nous sommes loin d’un « Iron Dome » helvétique ou de la participation à un système de défense à l’échelle continentale.

La troisième menace est un conflit armé conventionnel, une attaque au sol contre la Suisse. Ce cas de figure est très peu probable, mais d’autres pays sont moins fortunés à cet égard. Pensons à l’Ukraine, mais aussi aux pays baltes, à la Géorgie, à la région de la mer Noire, au Caucase et à l’Asie-Centrale. Dans toutes ces régions européennes ou situées aux confins immédiats de l’Europe, la Russie dispose soit de bases militaires ou de forces armées. Elle y est intervenue militairement, y a occupé des territoires, fomenté des séparatismes, installé des gouvernements « marionnettes », ou mis à profit sa puissance pour menacer, contraindre ou attaquer – sans parler des autres régimes, crises et conflits qui contribuent à une déstabilisation durable dans la zone.

Bien avant l’annexion de la Crimée et l’invasion de l’Ukraine, la guerre conventionnelle inter-étatique est revenue en Europe par le biais d’opérations russes en Transnistrie, Géorgie, Arménie, Azerbaïdjan, Tchétchénie, au Tadjikistan, Daguestan, Kazakhstan, etc. Comme la plupart des pays européens, la Suisse a longtemps peiné à tirer les leçons de ces interventions par rapport à son positionnement, sa politique de sécurité, son armement et sa défense. Malgré la probabilité réduite de tel ou tel scénario, il est évident que l’Armée suisse doit s’entraîner pour contrer les trois menaces mentionnées : hybride, aérienne à distance et conventionnelle au sol.

(Photo : VBS/DDPS)

Les forces terrestres face aux défis et menaces

La Constitution fédérale énumère trois missions que l’armée doit remplir : la défense nationale, le soutien aux autorités civiles, et les contributions au maintien de la paix internationale. Pour effectuer ses tâches, l’armée dispose actuellement d’un peu plus de 100'000 têtes. Cet effectif a été réduit massivement en plusieurs « étapes de développement » depuis l’Armée 61 (via Armée 95 et Armée XXI) et ses 800'000 hommes. La Suisse économisait et se payait – comme le reste de l’Europe – les « dividendes de la paix » au prix de sa capacité de défense.

Sur la base de l’exemple des forces terrestres, le brigadier Pignat exposait dans sa conférence les lacunes et faiblesses existantes. L’Armée suisse dispose (selon la doctrine opérationnelle en vigueur et en fonction des effectifs ainsi que du niveau de formation et d’équipement) d’une puissance terrestre de 23'000 hommes en forces lourdes. Ces dernières constituent une de six catégories de forces et sont complétées par des formations d’appui au combat issues notamment de l’artillerie et du génie militaire. Les forces médianes, les forces légères et les forces d’intervention assument des missions de soutien et de protection à l’arrière et sont, de leur côté, secondées par les forces d’appui territoriales.

Ensemble avec les Br 11 et 4, la Br méc 1 et ses huit bataillons forment le fer de lance des forces terrestres lourdes de l’Armée suisse. Pour des fins de formation, ses troupes de combat sont divisées en trois bataillons mécanisés et un bataillon d’infanterie ainsi qu’un bataillon de sapeurs de chars qui seront recomposés en cas de mobilisation. Bien que ce cas soit peu probable, l’invasion de l’Ukraine par la Russie a renforcé la conscience que la Suisse doit augmenter sa capacité d’action au sol. Actuellement, le pays serait incapable de se défendre contre une attaque terrestre menée dans la profondeur du territoire avec des moyens conventionnels, mais aussi avec des nouvelles armes, p.ex. des drones.

Les analyses et exercices confirment les insuffisances connues, par exemple dans la communication et l’information. Dans le domaine du « Command & Control », les technologies en usage (INTAFF, FIS etc.) sont à remplacer d’urgence. L’armée a besoin de systèmes de senseurs, d’instruments d’aide au commandement et de moyens d’action intégrés, utilisables dans un réseau complet de capteurs et d’effecteurs interconnectés. Ce dernier doit inclure tant l’acquisition, que la transmission de l’information, son traitement dans le cadre de l’appréciation de la situation, le commandement à tous les échelons, jusqu’à la production d’effets maximisés dans les différents espaces d’opération.

L’exercice TRIAS25 en Autriche est exemplaire de l’indispensable coopération internationale en matière de formation. (Photo : VBS/DDPS; Etienne Alder)

Des leçons tirées de la formation

Réagissant aux manquements observés, les Forces terrestres ont créé deux centres de compétence en Systèmes spécialisés et de conduite (Führungs- und Fachsysteme FFS) et Défense spatiale dynamique (Dynamische Raumverteidigung DRV). Les efforts de formation notables permettent de constater et de corriger d’autres problèmes, parfois très concrets. Ainsi, les expériences faites p.ex. au sein de la Br méc 1 ont mis au jour des flous concernant la chaine de commandement en cas d’engagements au sein d’un ensemble. Qui détient l’autorité suprême : les Forces terrestres ou la Division territoriale ? Les exercices permettent ainsi d’amorcer des réformes donnant plus de clarté en matière de structures, de directives et de processus opérationnels.

Un deuxième problème identifié concerne l’absence de profondeur opérationnelle lors d’engagements aux frontières nationales. Selon la doctrine et le cadre légal en vigueur, la défense transfrontalière peut être garantie uniquement avec l’autorisation explicite du Conseil fédéral. L’Armée se voit ainsi restreinte dans son autonomie de stopper un adversaire suffisamment tôt ou de ralentir une attaque afin de gagner le temps nécessaire à la mise en place d’un dispositif de défense efficace ; elle ne peut pas automatiquement empêcher un adversaire potentiel de violer l’intégrité territoriale du pays. Une révision partielle de la doctrine d’engagement semble indispensable, quitte à externaliser la défense territoriale de la Suisse à des voisins et alliés.

Le troisième grand défi notoire sont les opérations en zones densément peuplées. La structure territoriale du pays fait en sorte que l’Armée suisse doit défendre en premier lieu des zones urbanisées en cas de menace ou d’attaque. Toujours est-il que nos infrastructures ne permettent pas l’entraînement dans des conditions réelles. Selon les mots du brigadier Pignat : l’Armée suisse s’entraîne dans des décors ressemblant à un village du Gros de Vaud, avec maints espaces et de larges rues sans obstacles, alors qu’en réalité les troupes doivent savoir combattre à Bâle, Genève, Lugano ou Schaffhouse.

La quatrième problématique mentionnée lors de la conférence concerne la garantie de la supériorité aérienne qui constitue la condition sine qua non pour engager des forces terrestres. Sans cette supériorité, le rayon d’action et d’engagement des forces est réduit à néant. Dans ce domaine, les investissements impératifs sont en cours, mais nécessiteront un effort conséquent dans la durée.

 

La coopération à la formation comme nécessité

Trois rapports de base que le Conseil fédéral a demandés en 2016, à la suite de l’annexion de la Crimée par la Russie, contiennent une multitude d’enseignements et de recommandations : « Avenir de la Défense aérienne » (2017), « Avenir des Forces terrestres » (2019) et « Conception générale Cyber » (2022). Les trois rapports ont été actualisés et complétés après l’invasion de l’Ukraine à partir du printemps 2022. Une suite concrète pour les troupes au sol fut le mandat du 22 août 2022, donné par le chef Commandement des Opérations au Commandement des Forces terrestres, d’étudier le combat urbain de manière approfondie et de proposer d’éventuelles réformes urgentes (étude « Opérations militaires en milieu urbain MOUT »).

La coopération en matière de formation avec des états amis est d’une importance capitale pour mettre en œuvre les mesures préconisées. Comme la plupart des pays, la Suisse ne dispose pas, à elle seule, des infrastructures suffisantes pour s’entraîner et s’exercer convenablement au combat dans le terrain, qu’il soit ouvert ou compartimenté, rural ou urbain. C’est pourquoi l’Armée suisse organise et participe à des exercices avec l’Autriche et la France, à l’avenir certainement aussi avec l’Italie et l’Allemagne. Comme le reste de l’Europe, ces pays sont fortement mis sous pression pour rétablir la capacité de défense à la suite du désengagement américain amorcé.

Dans le domaine de la formation, la Suisse collabore habituellement avec ses voisins qui partagent non seulement nos langues et dans une large mesure nos cultures, mais aussi les fondements de la politique étrangère et de sécurité. Pensons à la neutralité qui n’empêche ni l’Autriche, ni la Suisse de coopérer avec leurs partenaires. Notre voisin oriental est, avec l’Irlande, l’un de deux pays membres neutres au sein de l’UE, tandis que la Suède et la Finlande ont rejoint l’OTAN en réaction aux menaces pesant sur leurs frontières à l’est. La formation nécessitera des réformes rapides pour que l’Armée suisse puisse atteindre le niveau visé en matière de disponibilité et de capacité de défense. Par exemple, les soldats et officiers suisses ne peuvent actuellement pas être obligés à participer à des exercices à l’étranger.

(Photo : VBS/DDPS; Philipp Schmidli).

La Défense comme nouvelle priorité politique

Les explications du brigadier Pignat ont permis de tirer la conclusion intermédiaire que la Suisse fait globalement bonne route en ce qui concerne ses efforts en matière de sécurité nationale. On assiste, depuis plusieurs années, à une prise de conscience quant à la nécessité de renforcer les moyens à disposition de l’armée, de rattraper les retards accumulés après la fin de la Guerre froide, et de procéder à des investissements en matière de conception, d’armement, mais aussi de ressources humaines et de modèles de collaboration et de coopération militaires.

Un indicateur de la nouvelle importance accordée à la sécurité est le fait – qui peut sembler anodin, mais qui ne l’est pas – que la ministre de la Défense sortante, la Conseillère fédérale Viola Amherd, fut la première à ne pas changer de département quand l’occasion se présentait. La création du secrétariat d’Etat à la politique de sécurité et de l’Office fédéral de la cybersécurité en 2024 (Centre national pour la cybersécurité depuis 2020) sont autant d’éléments qui permettent d’affirmer que la Suisse est en train de répondre aux impératifs d’un monde dans lequel l’insécurité et l’instabilité augmentent. 

En Allemagne – pour ne citer qu’un pays – tout comme dans le reste de l’Europe, il a fallu les critiques acerbes du nouveau gouvernement américain, préfigurant un désengagement progressif des Etats-Unis de la sécurité européenne, pour réveiller la politique. Quant à la Suisse, qui profite au premier plan du bouclier militaire occidental, on ne peut pas dire qu’elle ait dormi sur son oreiller paisible au centre de l’Europe de l’Ouest. En 2020, la population a accepté l’achat de nouveaux avions de combat après plusieurs échecs, le parlement a considérablement augmenté le budget de l’armée dès 2023, et l’Armée effectua sa première mobilisation depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale dans le cadre du service d’appui aux autorités civiles pendant la crise du Covid-19.

Au niveau de la conduite et du commandement, on assiste à un changement de culture tendant vers une plus grande agilité et une collaboration renforcée entre les acteurs militaires et civils. En ce qui concerne la qualité de ses performances, l’armée de milice suisse n’a pas à rougir, comme l’a souligné le commandant de la Br méc 1. Un élément qui paraît insignifiant en termes quantitatifs, mais qui témoigne de la même tendance à la modernisation, est l’effort conséquent de rendre l’armée attractive pour les femmes désireuses d’effectuer du service militaire.
Toujours est-il que le nouveau Conseiller fédéral en charge de la Défense, Martin Pfister, ne pourra compter sur aucune période de répit. Dans le domaine des finances de l’armée et du département, dans la gestion de projet, la surveillance et le contrôle de qualité, les chefs qui se succèdent à la tête du DDPS ont hérité de problèmes majeurs. La barre n’est pas encore redressée, mais les dernières années ont permis de faire la lumière sur les manquements existants et de renforcer grandement la transparence et le suivi. Sur proposition du chef du département, le Conseil fédéral devra en outre procéder rapidement à des nominations à la tête de l’armée, du renseignement et du secteur de l’armement.

L’acquisition, la transmission, le traitement et l’analyse de l’information ainsi que sa mise en application à l’ère de la haute technologie nécessitent un effort de modernisation. (Photo : VBS/DDPS; Clemens Laub)

La mort de l’industrie de l’armement suisse ?

Dans le secteur de l’armement, la Suisse est confrontée à de grands défis autogénérés, liés essentiellement à un manque de clarté en matière de politique de neutralité et de sécurité. Depuis l’attaque de l’Ukraine par la Russie et les tergiversations de la politique suisse y relative, l’industrie de l’armement suisse, qu’elle soit privée ou de droit public, ainsi que les entreprises étrangères qui collaborent avec la Suisse dans le cadre de partenariats privés ou privés-publics se retrouvent dans une situation de plus en plus intenable.

D’une part, la Suisse a continuellement renforcé (en politique intérieure) les règles limitant l’exportation de matériel de guerre ; de l’autre, elle met son industrie hors-jeu avec une interprétation stricte du droit de la neutralité (en politique étrangère). Cela entraîne trois conséquences qui remettent en question l’existence du secteur.

Premièrement, les entreprises suisses ne peuvent pas exporter des armes, du matériel de guerre ou de l’équipement à usage potentiellement militaire (les fameux biens « Dual Use ») à des pays en guerre. Cela vaut également pour des armes défensives, y compris des moyens de défense aérienne. Et cela vaut pour l’Ukraine qui lutte, en toute conformité avec le droit international, contre une attaque que la Suisse a officiellement déclarée comme illégale.

Deuxièmement, la Suisse interdit à ses entreprises de livrer du matériel de guerre à des alliés, à des partenaires et à d’autres clients, tant étatiques que privés, qui le transmettraient ou revendraient à des pays tiers en guerre ou en conflit. Rappelons, à ce titre, la livraison impossible de vieux véhicules blindés de l’Armée suisse, le rachat avorté de chars de combat Leopard 2 par l’Allemagne qui avait donné ses propres réserves à l’Ukraine, ou l’interdiction de réexporter des munitions pour le char antiaérien Gepard issues de la production suisse.

Nul besoin d’être particulièrement mercantiliste ou cynique pour comprendre que la Suisse met son industrie de l’armement gravement en danger. D’un point de vue philosophique, on peut sans autre admettre que quelqu’un attache une valeur plus grande au pacifisme qu’à la prospérité, par exemple en raison de convictions éthiques et morales ou de valeurs politiques et juridiques. Et pourtant, le cas de l’Ukraine montre parfaitement que la renonciation ou le refus d’exporter du matériel de guerre ne peuvent parfois pas être légitimés par la morale, l’éthique ou la justice.

Troisièmement, il y a lieu de mentionner la position précaire de la Suisse en tant que cliente sur le marché international de l’armement et de la défense. Les guerres, dont celles en Ukraine et à Gaza, engloutissent des quantités énormes de munitions et de matériel, épuisant les stocks existants et dépassant les capacités de production. Le réarmement qu’on observe à l’échelle mondiale renforce encore davantage les difficultés dans les chaines de fabrication et d’approvisionnement. Les pays producteurs vendent leur matériel en priorité à des partenaires sur lesquels ils peuvent compter en cas de conflit ou qui, pour le moins, facilitent la revente, la transmission et la réexportation de matériel de guerre à des alliés.

 

La Suisse se neutralise toute seule

À l’heure actuelle, le Conseil fédéral accorde une plus grande importance aux prescriptions s’adressant aux états neutres contenues dans la Convention de La Haye de 1907, qu’aux droits et devoirs ancrés dans la Charte de l’ONU. En combinaison avec les restrictions en matière d’exportation de matériel de guerre décidées unilatéralement par la Suisse, cela rend l’industrie de l’armement nationale perdante sur les trois niveaux mentionnés. Un premier rapport sur la neutralité mandaté par l’ancienne cheffe du DDPS n’a pour l’instant pas apporté la clarification indispensable.

Mais ça ne s’arrête pas là. Les limites que s’impose la Suisse ont également des répercussions sur la doctrine militaire. Cette dernière dépend notamment de la définition de buts clairs, de leur communication transparente et des mesures prises pour y arriver. En bon jargon militaire : la politique suisse de sécurité et de défense est péjorée en raison d’une appréhension insuffisante des problèmes à résoudre, rendant l’appréciation de la situation et l’analyse des tâches déficientes. Cela nuit à son tour à la prise de décision et au développement de mesures adaptés aux besoins réels.

Eu égard aux débats politiques hésitants et aux votations populaires imminentes sur des questions fondamentales en matière de neutralité, de relations internationales et de politique européenne, il y a lieu de rappeler les deux piliers sur lesquelles reposent les relations internationales et, par conséquent, une bonne politique de sécurité : il s’agit d’une part d’intérêts pragmatiques ancrés dans la realpolitik (dont la sécurité, la stabilité, la prospérité etc.), de l’autre de valeurs idéelles (comme la liberté, la démocratie, l’état de droit etc.).

Ces deux vecteurs classiques des relations internationales ne sont pas mutuellement exclusifs, mais se chevauchent et se superposent de manière dynamique. Dans l’idéal, les impératifs de la défense des intérêts pratiques et des valeurs idéelles sont concomitants, évitant ainsi tout dilemme politique. Il reste à voir si les deux conférences organisées en soutien à l’Ukraine (à Lugano en 2022 et au Bürgenstock en 2024) ont amorcé une réorientation progressive des politiques étrangère et de sécurité suisses vers une plus grande clarté.

Un «Livre noir» avec trois lignes stratégiques

En août 2023, le chef de l’armée, le commandant de corps Thomas Süssli, présenta le « Livre noir » de l’armée détaillant la stratégie de développement de l’Armée suisse jusqu’en 2030 et au-delà. La Kneipe de l’Armée à Fribourg a permis au brigadier Pignat de rappeler les trois lignes stratégiques retenues sous le titre général « Renforcer la capacité de défense » :

  1. Le développement adaptif des capacités militaires (moyennant la poursuite et l’extension des investissements déjà amorcés)
  2. La saisie d’opportunités offertes par le progrès technologique (en adoptant de nouvelles solutions plus vite que d’autres et en optimisant les processus et l’utilisation des ressources) 
  3. La coopération internationale (pour profiter encore davantage de l’expérience d’autres forces armées et pour élargir les possibilités en matière d’entraînement et de procuration)

L’analyse personnelle du commandant de la Brigade mécanisée 1 montre qu’il faudra vraisemblablement ajouter une priorité supplémentaire dans un délai plus ou moins court, à savoir la réforme en profondeur du concept de formation de l’Armée suisse. Selon le brigadier Pignat, il y a notamment lieu d’échelonner plus étroitement les périodes de formation afin de garantir leur effet et leur efficacité dans la durée.

C’est dans ce contexte général qu’a eu lieu en mai un exercice binational dans la région des places d’armes de Wichlen et Hinterrhein. Le lieutenant-colonel Maxime Morard y commandait le Bataillon de sapeurs de chars 1 de la brigade ainsi que deux unités des Forces armées françaises pour un effectif avoisinant les 1'000 hommes. Les Forces terrestres, la Brigade mécanisée 1, les bataillons mobilisés et leurs camarades rattachés aux deux autres brigades mécanisées, aux divisions territoriales, aux Forces aériennes et spéciales contribuent ainsi à maintenir et à améliorer la capacité de défense de l’Armée suisse, objectif suprême fixé dans la Constitution fédérale.

Vous trouverez ici des photos et un compte rendu de la 3e soirée militaire de l'Association des étudiants suisses qui s'est déroulée le 29 mars 2025.

Bernhard Altermatt v/o Nemesis (GV Zähringia, AV Berchtoldia, SA Sarinia) est historien et politologue. Il est incorporé comme officier spécialiste à l’Académie militaire et a été nommé par le Conseil fédéral comme membre de la Commission fédérale des enquêtes auprès de la jeunesse et des recrues (ch-x) à partir de 2024. Au sein du Grand Conseil du canton de Fribourg, il exerce la fonction de 2e vice-président depuis le début de l’année. Membre du Centre, il est vice-président de la Commission des affaires extérieures ainsi que de la Commission du Musée d’art et d’histoire de Fribourg. En parallèle il officie comme président de l’assemblée de l’Eglise catholique Fribourg et de la Commission administrative cantonale pour le patrimoine religieux.

Photos : VBS/DDPS.

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